Jonas
est donc revenu des enfers. Du ventre du Schéol où l’avait mené sa
révolte contre Dieu, il se retrouve, par l’acceptation de son sacrifice,
sur la terre ferme, j’allais dire : bon pied, bon œil. Mais ce n’est
pas pour rien que Yahvé a ramené son serviteur dans le Royaume des vivants.
Il faudra qu’il cède, qu’il accepte la mission que yahvé lui a confié,
qu’il se rende à Ninive et qu’il prêche dans cette ville
« divinement grande » comme dit le texte. Pourquoi la ville de
Ninive est-elle nommée ainsi ? J’ai beaucoup réfléchi, sans
découvrir la raison de cet adverbe. Les interprètes du Livre de Jonas ne
contribuent pas forcément à vous mettre sur la voie. « Il fallait
trois jour pour la traverser » nous explique le texte. Certains
expliquent doctement qu’au VIIème siècle avant Jésus Christ, aucune
ville, si grande soit-elle, ne peut prétendre à être traversée en trois
jours. D’autres alors proposent que ces trois jours représentent non le
diamètre de la ville (comme si, à Paris, on formait un diamètre entre la
Porte d’Orléans et la Porte de Clignancourt) mais la circonférence (disons
alors le temps qu’il faudrait pour emprunter les uns après les autres les
Boulevards des Maréchaux de notre petite ceinture). Il est bien évident que
le problème n’est pas là et que le qualificatif de divinement grande ne
correspond ni au diamètre ni à la circonférence de Ninive. Faut-il
considérer que les trois jours pour venir à bout de Ninive reprennent les
trois jours de Jonas dans le ventre du poisson ? Il s’agirait alors
pour le prédicateur d’une sorte de Purgatoire, qui durerait aussi longtemps
que l’état critique dans lequel Dieu l’avait laissé, après sa tentative
d’excursion à Tarsis. Mais on ne voit pas très bien la raison profonde d’un
tel parallélisme. Et puis, le Christ, s’appropriant le Signe de Jonas et
ressuscitant le matin de Pâques, alors qu’il est mort le vendredi
précédent, à la neuvième heure, montre bien qu’il ne faut sans doute pas
prendre ces trois jours au sens strict. S’il faut trois jours à Jonas pour
parcourir les quartiers de Ninive, cela signifie simplement que la ville de
Ninive (contrairement au petit peuple juif, réduit encore à son reste, et
massacré jusque dans ce reste, à cause de la désobéissance de ses chefs,
ainsi que nous l’apprend le prophète Jérémie), cette Ninive donc est aux
dimensions de Dieu : elle est « divinement grande » nous dit
le texte. Littéralement en hébreu : « Elle est grande devant
Dieu ». Dieu qui est si grand ne peut ignorer Ninive la grande, en se
limitant, en limitant ses faveurs, au Peuple juif. Plus qu’aucun livre de l’Ancien
Testament, le Livre de Jonas chante l’universalisme de la promesse divine.
Ninive la grande ville représente ou préfigure le monde tout entier et la
conversion de son roi et de ses habitants (scénario inouï dans la Bible
hébraïque) manifeste ce que sera demain la chrétienté.
Nous
possédons bien sûr d’autres évocations de cette avenir, en particulier au
chapitre 2 du Livre d’Isaïe :
« Il
arrivera dans la suite des temps que la montagne de la Maison de Yahvé sera
établie en tête des montagnes et s’élèvera au dessus des collines. Alors
toutes les nations afflueront vers elle. Alors viendront des peuples nombreux
qui diront : Venons à la Montagne de Yahvé, à la Maison du Dieu de
Jacob, qu’Il nous enseigne ses voies et que nous suivions ses sentiers, car
de Sion vient la Loi et de Jérusalem la Parole de Yahvé. Il jugera entre les
nations, il sera l’arbitre de peuples nombreux. Il briseront leurs épées
pour en faire des socs et leurs lances pour en faire des serpes » (Is.
II, 5-6).
Cette
« vision de paix » qui correspond justement au nom de
Jérusalem et qui s’établira autour d’elle et par elle, on en trouve d’autres
annonces, sous diverses formes. Mais il faut souligner deux points, qui
mettent ces prophéties en retrait par rapport à notre Jonas : d’une
part, Isaïe annonce un événement à venir. Mais il se tient rigoureusement,
lui-même, dans le particularisme juif et quelques versets plus bas, il dit,
en s’adressant à Yahvé : « Tu as rejeté ton peuple, parce qu’il
surabonde d’enfants étrangers ». Autant signifier clairement que l’universalisme
annoncé n’est pas encore d’actualité.
De
toutes façons, et c’est le deuxième point, cet universalisme s’effectue
autour de Jérusalem et dans la fidélité intégrale à la Torah :
« De Sion vient la Loi » déclare le Prophète. Cet universalisme
à venir reste donc centré sur une Loi et sur une Ville, qui, en quelque
manière incarne cette Loi. Certes il sera sans violence (ce que signifie le
soc et la serpe, fabriqués à partir des épées brisées). Mais il reste
centré à Jérusalem, qui est présenté comme le centre de ce règne de
paix. On pense évidemment au pouvoir spirituel qu’exerce l’Eglise de
Rome, on pense à ce qu’écrivait saint irénée, dès le tournant du Iième
siècle, au sujet de sa principalitas parmi toutes les Eglises. Le règne de
Rome, nouvelle jérusalem, est un règne purement pacifique.
Dans
le Livre de Jonas, en revanche, l’universalisme est inconditionnel, le don
de Dieu se présente comme le don de la vie ou le don de la mort. Il concerne
tous et chacun. Tel est le message essentiel des chapitres 3 et 4 de notre
texte, message dont on chercherait en vain ailleurs l’équivalent. Il existe
bien sûr des prophéties, annonçant que « toutes les nations
reconnaîtront le Saint d’Israël » et que « toute chair verra
le salut de Dieu ». Mais ce sont des fulgurances, annonçant l’avenir,
qui ne font pas oublier le particularisme du présent. L’idée de Jonas, en
cela plus prophète s’il est possible que tous les Prophètes de l’Ancien
Testament, c’est que cette universalité n’est pas seulement à
venir . Elle ne se conjugue pas au futur. Elle existe déjà de façon
latente. Il est déjà possible de se sauver en dehors d’Israël. Il est
possible pour tout homme de se sauver en dehors des frontières visibles de l’Eglise.
Que faut-il faire ? Il faut faire pénitence. C’est d’ailleurs l’unique
message du Prophète, que l’on a connu plus bavard : « Encore
quarante jours et Ninive sera détruite ».