Jonas, figure de l’aventure chrétienne

Conférences de Carême 2008 au Centre Saint Paul

par l’abbé Guillaume de Tanoüarn


 

Jonas et les païens de Ninive - Cinquième dimanche de Carême –  mars 2008

(partie précédente)

Jonas est donc revenu des enfers. Du ventre du Schéol où l’avait mené sa révolte contre Dieu, il se retrouve, par l’acceptation de son sacrifice, sur la terre ferme, j’allais dire : bon pied, bon œil. Mais ce n’est pas pour rien que Yahvé a ramené son serviteur dans le Royaume des vivants. Il faudra qu’il cède, qu’il accepte la mission que yahvé lui a confié, qu’il se rende à Ninive et qu’il prêche dans cette ville « divinement grande » comme dit le texte. Pourquoi la ville de Ninive est-elle nommée ainsi ? J’ai beaucoup réfléchi, sans découvrir la raison de cet adverbe. Les interprètes du Livre de Jonas ne contribuent pas forcément à vous mettre sur la voie. « Il fallait trois jour pour la traverser » nous explique le texte. Certains expliquent doctement qu’au VIIème siècle avant Jésus Christ, aucune ville, si grande soit-elle, ne peut prétendre à être traversée en trois jours. D’autres alors proposent que ces trois jours représentent non le diamètre de la ville (comme si, à Paris, on formait un diamètre entre la Porte d’Orléans et la Porte de Clignancourt) mais la circonférence (disons alors le temps qu’il faudrait pour emprunter les uns après les autres les Boulevards des Maréchaux de notre petite ceinture). Il est bien évident que le problème n’est pas là et que le qualificatif de divinement grande ne correspond ni au diamètre ni à la circonférence de Ninive. Faut-il considérer que les trois jours pour venir à bout de Ninive reprennent les trois jours de Jonas dans le ventre du poisson ? Il s’agirait alors pour le prédicateur d’une sorte de Purgatoire, qui durerait aussi longtemps que l’état critique dans lequel Dieu l’avait laissé, après sa tentative d’excursion à Tarsis. Mais on ne voit pas très bien la raison profonde d’un tel parallélisme. Et puis, le Christ, s’appropriant le Signe de Jonas et ressuscitant le matin de Pâques, alors qu’il est mort le vendredi précédent, à la neuvième heure, montre bien qu’il ne faut sans doute pas prendre ces trois jours au sens strict. S’il faut trois jours à Jonas pour parcourir les quartiers de Ninive, cela signifie simplement que la ville de Ninive (contrairement au petit peuple juif, réduit encore à son reste, et massacré jusque dans ce reste, à cause de la désobéissance de ses chefs, ainsi que nous l’apprend le prophète Jérémie), cette Ninive donc est aux dimensions de Dieu : elle est « divinement grande » nous dit le texte. Littéralement en hébreu : « Elle est grande devant Dieu ». Dieu qui est si grand ne peut ignorer Ninive la grande, en se limitant, en limitant ses faveurs, au Peuple juif. Plus qu’aucun livre de l’Ancien Testament, le Livre de Jonas chante l’universalisme de la promesse divine. Ninive la grande ville représente ou préfigure le monde tout entier et la conversion de son roi et de ses habitants (scénario inouï dans la Bible hébraïque) manifeste ce que sera demain la chrétienté.

Nous possédons bien sûr d’autres évocations de cette avenir, en particulier au chapitre 2 du Livre d’Isaïe :

« Il arrivera dans la suite des temps que la montagne de la Maison de Yahvé sera établie en tête des montagnes et s’élèvera au dessus des collines. Alors toutes les nations afflueront vers elle. Alors viendront des peuples nombreux qui diront : Venons à la Montagne de Yahvé, à la Maison du Dieu de Jacob, qu’Il nous enseigne ses voies et que nous suivions ses sentiers, car de Sion vient la Loi et de Jérusalem la Parole de Yahvé. Il jugera entre les nations, il sera l’arbitre de peuples nombreux. Il briseront leurs épées pour en faire des socs et leurs lances pour en faire des serpes » (Is. II, 5-6).

Cette « vision de paix » qui correspond  justement au nom de Jérusalem et qui s’établira autour d’elle et par elle, on en trouve d’autres annonces, sous diverses formes. Mais il faut souligner deux points, qui mettent ces prophéties en retrait par rapport à notre Jonas : d’une part, Isaïe annonce un événement à venir. Mais il se tient rigoureusement, lui-même, dans le particularisme juif et quelques versets plus bas, il dit, en s’adressant à Yahvé : « Tu as rejeté ton peuple, parce qu’il surabonde d’enfants étrangers ». Autant signifier clairement que l’universalisme annoncé n’est pas encore d’actualité.

De toutes façons, et c’est le deuxième point, cet universalisme s’effectue autour de Jérusalem et dans la fidélité intégrale à la Torah : « De Sion vient la Loi » déclare le Prophète. Cet universalisme à venir reste donc centré sur une Loi et sur une Ville, qui, en quelque manière incarne cette Loi. Certes il sera sans violence (ce que signifie le soc et la serpe, fabriqués à partir des épées brisées). Mais il reste centré à Jérusalem, qui est présenté comme le centre de ce règne de paix. On pense évidemment au pouvoir spirituel qu’exerce l’Eglise de Rome, on pense à ce qu’écrivait saint irénée, dès le tournant du Iième siècle, au sujet de sa principalitas parmi toutes les Eglises. Le règne de Rome, nouvelle jérusalem, est un règne purement pacifique.

Dans le Livre de Jonas, en revanche, l’universalisme est inconditionnel, le don de Dieu se présente comme le don de la vie ou le don de la mort. Il concerne tous et chacun. Tel est le message essentiel des chapitres 3 et 4 de notre texte, message dont on chercherait en vain ailleurs l’équivalent. Il existe bien sûr des prophéties, annonçant que « toutes les nations reconnaîtront le Saint d’Israël » et que « toute chair verra le salut de Dieu ». Mais ce sont des fulgurances, annonçant l’avenir, qui ne font pas oublier le particularisme du présent. L’idée de Jonas, en cela plus prophète s’il est possible que tous les Prophètes de l’Ancien Testament, c’est que cette universalité n’est pas seulement à venir . Elle ne se conjugue pas au futur. Elle existe déjà de façon latente. Il est déjà possible de se sauver en dehors d’Israël. Il est possible pour tout homme de se sauver en dehors des frontières visibles de l’Eglise. Que faut-il faire ? Il faut faire pénitence. C’est d’ailleurs l’unique message du Prophète, que l’on a connu plus bavard : « Encore quarante jours et Ninive sera détruite ».

(suite)

 

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