Jonas, figure de l’aventure chrétienne

Conférences de Carême 2008 au Centre Saint Paul

par l’abbé Guillaume de Tanoüarn


 

La prière de Jonas pour qu’il ne soit pas trop tard - Quatrième dimanche de Carême – 2 mars 2008

(partie précédente)

Nous avons laissé notre Jonas dans une situation qui n’est guère confortable. Il a demandé aux hommes d’équipage de le balancer par-dessus bord, offrant, en quelque manière sa vie pour que les marins ne périssent pas dans la tempête. Et les marins, reconnaissants, font de leur côté à Yahvé Dieu d’Israël, des prières d’action de grâce. Ironie suprême du Dieu qui dirige du Ciel toute l’affaire : Jonas qui ne voulait pas appeler les païens de Ninive à la pénitence a, en quelque sorte converti les marins par son sacrifice. Nous avons vu quel incroyable retournement s’opère en cette histoire. Alors que Jonas était un médiocre, nationaliste primaire, égocentrique, paresseux et bien vite découragé, son sacrifice, renversant la logique des boucs émissaires archaïques, parce que c’est lui qui le demande, apparaît comme une sorte de préfiguration du sacrifice du Christ. Il ne peut être compris dans tous ses détails qu’en tant qu’il annonce le sacrifice du Christ. C’est ce qu’il faut avoir à l’esprit si l’on veut comprendre aussi la suite de cette aventure. Désormais, Jonas n’est plus l’image de notre viscérale méchanceté. Il devient une figure du Christ, par son sacrifice et par l’efficacité extraordinaire de sa mort volontaire, qui procure le salut aux marins.

Si l’histoire s’arrêtait là, elle ne serait pas trop gênante. Nous aurions quelque chose de l’esprit du Christ, quelque chose de son sacrifice dans un livre de l’Ancien Testament. Il suffit de lire le chapitre 53 d’Isaïe pour comprendre que tout est déjà caché dans l’Ancien Testament.

Ce qui est plus gênant maintenant, c’est l’histoire du monstre marin. Est-il pensable que Jonas, avalé tout rond par le monstre, soit recraché sur le rivage trois jours plus tard ? Evidemment non. Cela signifie-t-il qu’il faut prendre toute cette histoire pour un conte théologique, dont le seul enjeu serait d’enseigner aux juifs qu’il faut aussi aller prêcher chez les païens ? C’est ce que nous propose la Cahier Evangile dont je vous ai parlé. Je ne crois pas que cette proposition prenne en compte la profondeur incroyable de ce Signe de Jonas que jésus a voulu, à plusieurs reprises dans l’Evangile, offrir à notre méditation. Comme disent les Anglais, en une formule qui me paraît ici particulièrement approprié : « Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». Ce que nous devons chercher, c’est le sens littéral de ce texte, tel qu’il nous est indiqué si nous voulons lire de près cette parole de Dieu qui nous est adressée, sans la confondre avec les précompréhensions mutilantes que notre culture rationaliste risque toujours d’infliger au Texte sacré. Notre jugement spontané sur un texte de l’Ecriture ne doit pas être confondu avec le sens littéral de ce texte. Saint Thomas d’Aquin, - cité par Pie XII dans l’encyclique Divino afflante Spiritu - définit le sens littéral comme le sens que l’auteur sacré a voulu donner à la lettre de son texte. Mais ici, l’auteur sacré, qui peut être Jonas mais qui doit être un scripteur plus tardif (Jonas ne se serait pas vanté de ses déconfitures successives avec tant de naïveté apparente) n’a pas pu imaginer sérieusement qu’il s’agisse d’un vrai poisson et d’une véritable survie in visceribus piscis. Collodi, l’auteur de Pinocchio a repris cette image à la fin du XIXème siècle (1881) : il fera des entrailles du cétacée un lieu de rencontre entre l’insupportable pantin, le terrible petit Pinocchio son héros, et son vieux créateur inconsolable Gepetto. Mais avec Collodi, toute l’atmosphère est au fantastique ; il s’agit bel et bien d’un conte. Inutile de chercher le poisson qui aurait eu assez d’appétit pour engloutir Pinocchio avec Gepetto et assez de contenance pour leur offrir une salle de réception ! De la même façon, il est inutile de chercher le monstre marin qui a englouti Jonas, parmi les espèces naturelles aperçues dans les eaux de notre planète. Nous avons un vieux texte d’Ambroise Paré, l’ancêtre de nos modernes chirurgiens, qui nous montre bien le rationalisme de ceux qui imaginent un sens littéral à leur propre mesure, sans égards pour les modes bibliques d’expression. Selon Ambroise Paré, le monstre du livre de Jonas doit avoir eu des enfants. En effet souligne-t-il en son français archaïque : « Gesnerus fait mention de ce monstre marin, dont il avait recouvé le portraict d’un peintre, qui l’avoit vu en Anvers au naturel, ayant la teste fort furieuse, avec deux cornes et longues oreilles, et tout le reste du corps d’un poisson, hors les bras qui approchoient du naturel, lequel fut pris en la Mer Illyrique, se jetant hors du rivage, taschant à prendre un petit enfant et estant poursuivi des mariniers qui l’avoient apperçeu, fut blessé de coups de pierres, et peu après vint mourir au bord de l’eau » (Henri Charbonneau-Lassay, Le bestiaire du Christ p. 703). Nous n’introduiront pas dans les Saintes Lettres de telles puérilités !

(suite)

 

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