Jonas, figure de l’aventure chrétienne

Conférences de Carême 2008 au Centre Saint Paul

par l’abbé Guillaume de Tanoüarn


 

Religion des hommes, religion de Dieu : le choc - Troisième dimanche de Carême – 24 février 2008

(partie précédente)

Jonas s’est révolté contre ce que nous avons nommé, après Saint-Cyran, sa première grâce. Il a refusé de prophétiser, alors qu’il était prophète. Il s’est éloigné de lui-même, autant qu’il s’est éloigné de Dieu. Il entreprend de mettre la mer Méditerranée entre lui et Dieu. Et aussi entre lui et lui, entre sa liberté d’individu révolté, et son identité de serviteur de Dieu. Mais Dieu envoie une tempête, qui empêche le fugueur d’exécuter son projet de fuite. Que va-t-il arriver ?

Le plus simple, pour que vous connaissiez la suite de cette histoire, c’est que je vous lise le premier chapitre, consacré aux aventures de Jonas. Vous découvrirez vous-même cette étrange scène. Je vous en proposerai ensuite une explication, tenant compte de chaque circonstance et, autant que possible, de chaque nuance du texte. La surprise que vous aurez, en lisant ce texte attentivement, c’est de constater son extrême subtilité. Curieux pour un livre que l’on prend pour un livre de conte ! C’est que le Livre de Jonas est bien autre chose qu’un conte. Toute cette histoire est une prophétie. Elle doit être lue comme telle.

« Jonas descendit à Joppé et trouva un vaisseau à destination de Tarsis, il paya son passage et s’embarqua pour se rendre avec eux à Tarsis, loin de Yahvé. Mais Yahvé lança sur la mer un vent violent, et il y eut une grande tempête sur la mer, au point que le vaisseau menaçait de se briser. Les matelots prirent peur ; ils crièrent chacun vers son dieu, et pour s’alléger, jetèrent à la mer la cargaison. Jonas cependant était descendu au fond du bateau ; il s’était couché et dormait profondément. Le chef de l’équipage s’approcha de lui et lui dit : « Qu’as-tu à dormir ? Lève-toi et crie vers ton Dieu ! Peut-être Dieu songera-t-il à nous et nous ne périrons pas ». Puis ils se dirent les uns aux autres : « Tirons donc au sort, pour savoir de qui nous vient ce mal. »Ils jetèrent les sorts et le sort tomba sur Jonas. Ils lui dirent alors : « Dis nous quelle est ton affaire, d’où tu viens, quel est ton pays et à quel peuple tu appartiens. »Il leur répondit : « Je suis Hébreu, et c’est Yahvé que j’adore, le Dieu du Ciel, qui a fait la mer et la terre ». Les hommes furent pris d’une grande crainte et ils lui dirent : « Qu’as-tu fait là ! « Ils savaient en effet qu’il fuyait loin de Yahvé, car il le leur avait raconté. Ils lui dirent : « Que te ferons-nous pour que la mer s’apaise pour nous ? » Car la mer se soulevait de plus en plus. Il leur répondit : « Prenez-moi et jetez-moi à la mer, et la mer s’apaisera pour vous. Car, je le sais, c’est à cause de moi que cette violente tempête nous assaille ». Les hommes ramèrent pour gagner le rivage, mais en vain, car la mer se soulevait de plus en plus contre eux. Alors ils implorèrent Yahvé et dirent : « Ah Yahvé, puissions nous ne pas périr à cause de la vie de cet homme, et puisses-tu ne pas nous charger d’un sang innocent, car c’est toi, Yahvé, qui as agi selon ton bon plaisir ». Et s’emparant de Jonas, ils le jetèrent à la mer, et la mer apaisa sa fureur. Les hommes furent saisis d’une grande crainte de Yahvé. Ils offrirent un sacrifice à Yahvé et firent des vœux ». (Jon. I, 3-16).

Au début de cette scène, Jonas dort. La tempête fait rage pourtant et les marins délibèrent. Que faire ? On peut encore sonder la responsabilité de chacun et trouver un coupable. On sait que dans la mentalité primitive, le mal n’arrive jamais au hasard. C’est toujours la faute de quelqu’un. Les absents ont toujours tort. Jonas dort ? Sus à Jonas ! On tire au sort, et comme dans la chanson le sort tombe sur celui qui ne peut pas se défendre. Les marins s’emparent de Jonas et s’apprêtent à lui faire la peau. On sait jamais. Dans les circonstances extrêmes, un bouc émissaire, sacrifié à la colère des dieux, ça peut toujours servir, quand on a essayé tout le reste.

Les éditeurs du texte déclarent souvent que cette scène du sacrifice de Jonas est invraisemblable et ils font de cette invraisemblance un argument en faveur de l’inauthenticité de cette histoire. Il me semble au contraire qu’elle est criante de vérité. En la lisant de près, on retrouve les travaux de l’anthropologue René Girard sur le bouc émissaire justement et sur l’origine des sociétés primitives. Ce qui s’est passé dans ce rafiot battu par les flots et que la mer menace de disloquer ? non pas une histoire invraisemblable qui renverrait à un conte mais une scène typique des religions primitives et des sacrifices humains qu’elles contiennent toutes.

(suite)

 

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