Si
l’on veut se connaître soi-même en vérité, il faut avoir le courage de
se mettre devant l’Evangile tel qu’il est, en acceptant l’autorité de
cette parole divine. Tolle ! Lege ! Il faut lire. Il faut avoir le
courage de renoncer à la superficialité de ceux qui mettent leur centre en
eux-mêmes, et accepter que cette parole nous dérange :
« Lève-toi et pars à Ninive » dit Dieu à Jonas. Jonas n’en a
pas envie. Il ne le fait pas. Dieu autrefois a dit la même chose à Abraham,
sans même lui indiquer de destination, et Abraham est parti. Je crois que
nous tenons là, non seulement un défaut de comportement, mais une raison
fondamentale de la crise majeure que traverse le christianisme. Les chrétiens
ont renoncé à se mettre devant l’autorité de la Parole de Dieu. Mais qu’est-ce
qu’une foi qui ne procède pas de l’autorité de Dieu ? Que
reste-t-il si l’on a exclu l’obéissance ? Une convenance
personnelle, forcément fluctuante, un christianisme à la carte, une religion
purement optionnelle, bref notre quotidien. Avec ce christianisme-là, nous
serions, comme Jonas, loin de la face du Seigneur.
Voilà
sur l’attitude de Jonas. Reste à interpréter son sommeil. Jonas dort
beaucoup, il dort souvent. Il dort pendant la tempête, alors que les marins
se battent contre le vent et les flots. Et il dort devant Ninive, alors que sa
prédication a été une réussite et que les Ninivites font pénitence.
Comment expliquer ce sommeil de Jonas ? Ce n’est pas le sommeil du
juste, c’est le moins qu’on puisse dire. Il me semble qu’il y a deux
interprétations possibles pour comprendre Jonas.
Si
Jonas dort, alors que les autres triment, c’est avant tout parce qu’il s’agit
d’un être de peu de qualité, essentiellement égocentrique, incapable de
voir au-delà de son petit confort, qu’il est prêt à emmener avec lui
jusqu’à Tarsis. Assurément, du moment qu’il peut dormir, rien ne lui
manquera. Un psychologue contemporain a parlé à ce propos de
« complexe de Jonas ». Le complexe de Jonas touche tous ceux qui
refusent de renoncer à leur confort, tous ceux pour qui les conditions d’existence
sont définitivement plus importantes que la qualité de la vie elle-même.
Nous sommes dans une société qui souffre du complexe de Jonas, qui croit d’avantage
aux conditions de vie qu’au bien et au mal réalisés dans la vie. Nous nous
perdons souvent dans cette superficialité. Il faut que nous nous redisions
sans cesse : pourquoi je vis ? Pas seulement quel est le sens de ma
vie. On peut trouver un sens de la vie dans le confort, dans la facilité et
dans tous les hochets existentiels qui nous amusent un instant. Tant que nous
n’avons pas affronté la question de la vérité, la question dont je
parlais en commençant, de ce que nous sommes en vérité devant Dieu, nous n’avons
pas de véritable sens et la question du sens reste un simple palliatif. Celui
qui vit en lui-même et pour lui-même, l’égocentrique, ne fait
souvent ainsi que fuir la question de la vérité de sa vie, de ce qu’il en
restera vraiment…
Mais
il y a une autre interprétation du sommeil de Jonas, qui me semble
profondément complémentaire et non contraire à la première. Si Jonas dort,
dans le bateau, c’est parce que sa désobéissance, en le séparant de dieu,
l’a éloigné de lui-même et de cette première grâce de prophétie, de
cette vocation qui était la sienne. On ne peut pas être sûr de cette
angoisse, de cette dépression dans le chapitre 1, comme si cette angoisse
restait encore diffuse et mal consciente chez le fils d’Amitaï. Mais dans
le chapitre 4, c’est clair : Jonas a prêché, sa prédication a été
un succès, les Ninivites font pénitence, à commencer par le roi. Jonas est
furieux et il dort. Cette colère impuissante qui se réfugie dans le sommeil,
c’est la marque de Jonas. Au fond, ce que ce sommeil signifie alors, c’est
qu ‘en dehors de la volonté de dieu, telle que nous la découvrons
dans l’Evangile et telle que nous l’éprouvons dans les circonstances
multiples de notre vie.
Heureusement
Dieu n’abandonne pas Jonas à sa révolte. Il va s’assurer de son
obéissance de la manière la plus ironique qui soit. Nous verrons cela la
prochaine fois.