Jonas, figure de l’aventure chrétienne

Conférences de Carême 2008 au Centre Saint Paul

par l’abbé Guillaume de Tanoüarn


 

La tactique de Dieu dans nos vies et nos réponses humaines, trop humaines - Second dimanche de Carême – 17 février 2008

(partie précédente)

Si l’on veut se connaître soi-même en vérité, il faut avoir le courage de se mettre devant l’Evangile tel qu’il est, en acceptant l’autorité de cette parole divine. Tolle ! Lege ! Il faut lire. Il faut avoir le courage de renoncer à la superficialité de ceux qui mettent leur centre en eux-mêmes, et accepter que cette parole nous dérange : « Lève-toi et pars à Ninive » dit Dieu à Jonas. Jonas n’en a pas envie. Il ne le fait pas. Dieu autrefois a dit la même chose à Abraham, sans même lui indiquer de destination, et Abraham est parti. Je crois que nous tenons là, non seulement un défaut de comportement, mais une raison fondamentale de la crise majeure que traverse le christianisme. Les chrétiens ont renoncé à se mettre devant l’autorité de la Parole de Dieu. Mais qu’est-ce qu’une foi qui ne procède pas de l’autorité de Dieu ? Que reste-t-il si l’on a exclu l’obéissance ? Une convenance personnelle, forcément fluctuante, un christianisme à la carte, une religion purement optionnelle, bref notre quotidien. Avec ce christianisme-là, nous serions, comme Jonas, loin de la face du Seigneur.

Voilà sur l’attitude de Jonas. Reste à interpréter son sommeil. Jonas dort beaucoup, il dort souvent. Il dort pendant la tempête, alors que les marins se battent contre le vent et les flots. Et il dort devant Ninive, alors que sa prédication a été une réussite et que les Ninivites font pénitence. Comment expliquer ce sommeil de Jonas ? Ce n’est pas le sommeil du juste, c’est le moins qu’on puisse dire. Il me semble qu’il y a deux interprétations possibles pour comprendre Jonas.

Si Jonas dort, alors que les autres triment, c’est avant tout parce qu’il s’agit d’un être de peu de qualité, essentiellement égocentrique, incapable de voir au-delà de son petit confort, qu’il est prêt à emmener avec lui jusqu’à Tarsis. Assurément, du moment qu’il peut dormir, rien ne lui manquera.  Un psychologue contemporain a parlé à ce propos de « complexe de Jonas ». Le complexe de Jonas touche tous ceux qui refusent de renoncer à leur confort, tous ceux pour qui les conditions d’existence sont définitivement plus importantes que la qualité de la vie elle-même. Nous sommes dans une société qui souffre du complexe de Jonas, qui croit d’avantage aux conditions de vie qu’au bien et au mal réalisés dans la vie. Nous nous perdons souvent dans cette superficialité. Il faut que nous nous redisions sans cesse : pourquoi je vis ? Pas seulement quel est le sens de ma vie. On peut trouver un sens de la vie dans le confort, dans la facilité et dans tous les hochets existentiels qui nous amusent un instant. Tant que nous n’avons pas affronté la question de la vérité, la question dont je parlais en commençant, de ce que nous sommes en vérité devant Dieu, nous n’avons pas de véritable sens et la question du sens reste un simple palliatif. Celui qui vit en lui-même et pour lui-même, l’égocentrique,  ne fait souvent ainsi que fuir la question de la vérité de sa vie, de ce qu’il en restera vraiment…

Mais il y a une autre interprétation du sommeil de Jonas, qui me semble profondément complémentaire et non contraire à la première. Si Jonas dort, dans le bateau, c’est parce que sa désobéissance, en le séparant de dieu, l’a éloigné de lui-même et de cette première grâce de prophétie, de cette vocation qui était la sienne. On ne peut pas être sûr de cette angoisse, de cette dépression dans le chapitre 1, comme si cette angoisse restait encore diffuse et mal consciente chez le fils d’Amitaï. Mais dans le chapitre 4, c’est clair : Jonas a prêché, sa prédication a été un succès, les Ninivites font pénitence, à commencer par le roi. Jonas est furieux et il dort. Cette colère impuissante qui se réfugie dans le sommeil, c’est la marque de Jonas. Au fond, ce que ce sommeil signifie alors, c’est qu ‘en dehors de la volonté de dieu, telle que nous la découvrons dans l’Evangile et telle que nous l’éprouvons dans les circonstances multiples de notre vie.

Heureusement Dieu n’abandonne pas Jonas à sa révolte. Il va s’assurer de son obéissance de la manière la plus ironique qui soit. Nous verrons cela la prochaine fois.

(suite)

 

email

plan