Jonas, figure de l’aventure chrétienne

Conférences de Carême 2008 au Centre Saint Paul

par l’abbé Guillaume de Tanoüarn


 

La tactique de Dieu dans nos vies et nos réponses humaines, trop humaines - Second dimanche de Carême – 17 février 2008

(partie précédente)

Nous avons reçu, chacun, une invitation de Dieu, l’invitation aux noces de son fils, un carton personnalisé. Plus qu’un simple carton d’invitation. Avec le carton, il y avait un itinéraire. Drôle d’itinéraire, en vérité. De quoi exciter le système GPS de votre nouvelle voiture. Les étapes ne sont pas marquées. Le but est heureux, mais il n’est pas spécifié. Il y a simplement en nous cette voix obsédante, qui nous dit tout ce qu’il ne faut pas faire et qui nous incline infailliblement (si nous la suivons) vers ce qu’il faut faire. Saint-Cyran parle à ce sujet, de manière énigmatique, de la première grâce. Chez le chevalier Jean Duvergier de Heaurane, on voit ce que cela veut dire : c’est une question d’élan, la première grâce, c’est l’impulsion, qui a toute la nécessité tranquille du naturel et toute la légèreté, défiant toute limite, du surnaturel. Nous avons tous une première grâce, une impulsion fondamentale. Je viens de citer Saint Cyran. Eh bien, citons saint Ignace pour ne pas faire de jaloux ! Lorsqu’il nous demande de faire élection, saint Ignace indique, dans ses règle pour le discernement des esprits un critère infaillible : Quel est-il ? C’est ce que vous avez envie de faire, lorsque vous êtes intérieurement dans ce qu’il nomme la consolation. Attention : la consolation n’est pas l’euphorie. Il faut se méfier de l’euphorie, Elle n’est pas toujours chimique ni obtenue de stupéfiante façon, mais elle est toujours artificielle. Ne cédons jamais à l’euphorie ! Dieu qui a fait et qui a aimé notre naturel (Dieu vit que cela était bon !), ne contredira jamais cette première impression qu’il a mise en nous. Mais il la prolonge, dans un amour toujours plus sûr de lui-même, plus profond. Cet amour le plus profond, celui qui cause en nous la joie, celui qui porte avec lui la certitude d’être à sa place, c’est ce que Saint-Cyran nomme la première grâce. Dieu ne se repens jamais de nous l’avoir donnée. Nous pouvons la perdre. Nous pouvons en venir à la mépriser. En creux, au moins en creux, elle ne nous quitte pas. On n’en a jamais fini avec cette première grâce.

Chez Jonas, la première grâce, c’est le don de prophétie que Dieu lui a donné pour le bien du peuple juif. Jonas est prophète, comme d’autres sont pilote d’avions ou chirurgien. C’est sa vocation d’être prophète, sa première grâce. Jusqu’au moment où commence cette histoire, Dieu ne lui avait donné que des choses agréables à prophétiser. Ainsi, dans le IIème Livre des Rois, au chapitre 14, on lit que sous le règne de Jéroboam II, qui avait fait ce qui est mal aux yeux de Yahvé, Jonas fils d’Amitaï, avait eu l’agréable surprise d’avoir à prophétiser une extension du Royaume d’Israël et une victoire de ce roi pourtant infidèle. Quelle plus réjouissante aubaine, pour un nationaliste en herbe comme Jonas ! Des missions comme celles-là, on en redemanderait.

Et voilà que Dieu lui propose une nouvelle mission, mais nettement plus difficile celle-là. Il s’agit d’aller à Ninive, la capitale des féroces Assyriens, pour lui porter des menaces : « Lève-toi, pars à Ninive la grande ville pour lui porter des menaces ». Jonas, cette fois n’est pas d’accord. Il a deux raisons de s’opposer à l’ordre de Dieu : d’abord, aller menacer des menaçants, ce n’est jamais très confortable. Les Assyriens, pense Jonas, ne vont faire qu’une bouchée de ma prédication. Et sans doute avaleront-ils aussi le prédicateur. Bref ce sont des risques inutiles. Il suffit de lire d’autres petits prophètes, comme Abdias ou Nahum, pour comprendre ce que pouvait bien être Ninive dans l’imaginaire de Jonas. Voici nahum au chapitre 3 : « Malheur à la ville sanguinaire, pleine de mensonges : elle est pleine de butin, ar elle n’a pas cessé de piller. Claquements de fouets, fracas de roues, chevaux qui galopent et chars qui bondissent ! Charge des cavaliers, flamboiement d’épées, éclairs à la pointe des lances, partout des hommes blessés à mort, des victimes sans nombre ! Quel carnage ! On trébuche sur les cadavres ». A Ninive, il est promis le sort qu’elle a réservé à tous les petits peuples ses voisins, qu’elle a anéantit par ses guerres ; on conçoit que Jonas n’ait pas très envie d’y aller. Nous verrons tout à l’heure qu’il est une autre raison à son abstention. Constatons en tout cas que notre prophète est infidèle à sa mission de prophète. Il ne va pas porter des menaces à Ninive mais prend un billet pour Tarsis, l’extrémité de la terre alors connue, derrière les colonnes d’Hercule. On l’identifie aujourd’hui à Cadix. Celui qui nous conte cette histoire le fait sur un ton presque badin, que l’on retrouve dans toutes les traductions. On a l’impression qu’il ne juge pas Jonas. Et pourtant, il est une expression, dans son texte, qui ne trompe pas : notre héros pas très héroïque voulait « fuir de devant la face de Yahvé ».

(suite)

 

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