Jonas, figure de l’aventure chrétienne

Conférences de Carême 2008 au Centre Saint Paul

par l’abbé Guillaume de Tanoüarn


 

Le signe de Jonas - Premier dimanche de Carême – 10 février 2008

(partie précédente)

Comment faut-il comprendre cette histoire ? comme un conte théologique, selon l’expression du dernier Cahier Evangile sur Jonas ? Ce serait une erreur d’en rester à ce récit comme à un conte, sans se souvenir que le Christ, dans l’Evangile s’est lui-même comparé à Jonas. Il faut lire l’histoire de Jonas à travers l’image qu’en donne les Evangiles. Comme dit saint Augustin : Novum Testamentum in vetere latet. Vetus Testamentum in novo patet. Le Nouveau Testament est caché dans l’Ancien. L’Ancien est manifesté dans le Nouveau. L’histoire de Jonas n’est pas complète si l’on ne cherche pas le chiffre qu’elle nous présente. L’histoire de Jonas n’est guère éloquente si l’on oublie que Jonas est le cryptogramme du Christ, ainsi que l’affirme Jésus lui-même dans l’Evangile. Il faut donc déchiffrer et lire ce texte pour y chercher l’Evangile en filigrane. Ainsi peut-on lire les Prophètes. Ainsi la Torah. L’Evangile transforme tout ce qu’il touche, l’Evangile donne aux autres livres de l’Ecriture une profondeur qu’ils n’ont pas forcément en eux-mêmes. Ce que l’on pourrait prendre pour un conte édifiant renferme un enseignement passionnant. On comprend ce qui est vraiment arrivé à Jonas quand on rapproche Jonas du Christ.

Encore faut-il bien préciser que l’Evangile évoque le signe de Jonas en deux sens différents. Quelqu’un qui n’a pas l’habitude de lire la Bible peut se scandaliser de ces différences. Il ne faut pas oublier que l’auteur du texte sacré est le Saint Esprit lui-même. On peut donc admettre que ces textes ont une épaisseur de sens que n’ont pas les textes purement profanes. Les scolastiques parlent à ce sujet d’une pluralité de sens littéraux. La lettre du texte sacré a en elle-même plusieurs sens selon qu’on la comprend sous telle ou telle lumière. Ainsi certains textes prophétiques ont un sens immédiat, valable pour leur époque. Mais en même temps, ils ne se comprennent vraiment qu’en référence à tel ou tel mystère du Christ. Jonas est une leçon donnée à Israël : Dieu veut faire comprendre à son peuple qu’il n’a pas le monopole de sa Miséricorde. Tel pourrait être le premier sens littéral. Mais, dans l’analogie biblique, il y en a d’autres. La figure de ce prédicateur resté trois jours dans le ventre du poisson, ne se saisit dans tout son éclat qu’à la lumière de ce qu’en dit le Christ.

Voici ce que nous apprend le chapitre 12 de l’Evangile selon saint Matthieu sur le prophète Jonas : « Un groupe de scribes et de pharisiens prit la parole et demanda à Jésus : Maître nous voulons voir un signe de vous. Jésus leur répondit : Cette génération mauvaise et adultère réclame un signe ! Il ne lui sera pas donné d’autre signe que celui du prophète Jonas. Comme Jonas resta dans le ventre du poisson trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l’Homme restera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits » (Matth. XII, 38 sq.). Nous avons là une première explication de l’aventure de Jonas. Le ventre du poisson, le Christ l’indique clairement, c’est le ventre de la terre. Jonas, jeté à la mer par les marins, affronte la mort et il descend aux enfers. Au chapitre 2, magnifique psaume que chante Jonas « du fond des entrailles du poisson », nous trouvons tout de suite ce verset : « Du ventre du Schéol, j’ai lancé des appels – et tu as entendu ma voix ». Jonas est descendu dans les enfers et là, il supplie Dieu de l’entendre. Et Dieu l’exaucera, puisque le poisson le dégorgera sur la terre ferme. Jonas revient des enfers pour prêcher aux vivants, dans l’enfer de Ninive, la grande ville. Le Christ lui aussi doit descendre aux enfers, non pas pour y supplier Dieu, nous dit l’Ecriture, mais pour prêcher aux morts qui attendent sa venue. La première Epitre de saint Pierre exprime très bien cela : « Etant ressuscité selon l’Esprit (avant même sa résurrection dans la chair le troisième jour), Jésus vint prêcher les esprits qui étaient retenus en prison, ceux qui avaient été incrédules autrefois, lorsqu’aux jours de Noé, ils se reposaient sur la patience de Dieu, pendant qu’on bâtissait l’arche dans laquelle huit personnes seulement furent sauvées par l’eau ». Cette dernière expression « sauvés par l’eau » est très forte. Couramment dans les psaumes, l’eau est signe de mort. Le déluge est une mort universelle. Mais cette mort se transforme en vie. Cette eau mortelle qui est l’eau du déluge, est en même temps l’eau qui sauve. Pour un petit nombre de personnes : « Huit personnes furent sauvées par l’eau ». Jonas, jeté à l’eau, meurt, mais il revient à la vie, Jonas est sauvé de sa désobéissance et de sa lâcheté, préfigurant le Christ ressuscité. Avant le Christ, peu de personnes sont sauvés : « huit en tout » dans l’arche, et puis, au sein du peuple choisis, tous ceux qui peuvent se dire fils d’Abraham. Après le Christ, la prédication de Dieu, la bonne nouvelle, l’Evangile est adressé à tous les hommes, même à ceux qui dans le passé, s’étaient montrés rebelles ou incrédules. Oui, tous les hommes, s’ils le veulent, peuvent être sauvés. Jonas préfigure le Christ et l’universalité de son message, en allant prêcher à Ninive, le terrible ennemi d’Israël que le prophète Nahum n’appelle que « le destructeur ». Nous sommes là dans le deuxième aspect de la figure de Jonas. Jonas n’est pas seulement celui qui descend dans le ventre des enfers et en remonte. Il est aussi le prédicateur, seul contre tous, ou plutôt seul pour tous, parce que sa prédication obtient le salut de Ninive. Saint Paul – encore lui – a magnifiquement dit comment Dieu a voulu « sauver ceux qui croient par la folie de la prédication » (I Cor. I, 21). Si nous poursuivons la citation du chapitre 12 de saint Matthieu, nous pouvons constater que Jonas est aussi le prédicateur du salut, prédicateur qui semble avoir eu de son vivant plus de succès que n’en eut Jésus lui-même : « Les gens de Ninive se lèveront, lors du Jugement, avec cette génération et ils la condamneront, car ils firent pénitence à la parole de Jonas » (Matth. XII, 41). Dans le passage parallèle de l’Evangile de saint Luc, le signe de Jonas, c’est uniquement cette prédication : « De même que Jonas a été un signe pour les Ninivites, de même le Fils de l’Homme en sera un pour cette génération » (Luc XI, 30). « Il y a ici plus que Jonas ». Le temps des Prophètes est terminé quand s’accomplit ce qui a été prophétisé. Jonas à Ninive, c’est une anticipation miraculeuse du Christ dans le monde. Mais une fois le Christ advenu au monde, le temps de Jonas est terminé, car le Christ est plus que Jonas. Le pardon de Dieu est offert désormais non seulement aux Ninivites, mais à tous les hommes. Il suffit de le vouloir ! Il suffit de faire courageusement le choix du Christ, pour partager un jour sa résurrection.

(suite)

 

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