Comment
faut-il comprendre cette histoire ? comme un conte théologique, selon l’expression
du dernier Cahier Evangile sur Jonas ? Ce serait une erreur d’en rester
à ce récit comme à un conte, sans se souvenir que le Christ, dans l’Evangile
s’est lui-même comparé à Jonas. Il faut lire l’histoire de Jonas à
travers l’image qu’en donne les Evangiles. Comme dit saint Augustin :
Novum Testamentum in vetere latet. Vetus Testamentum in novo patet. Le Nouveau
Testament est caché dans l’Ancien. L’Ancien est manifesté dans le
Nouveau. L’histoire de Jonas n’est pas complète si l’on ne cherche pas
le chiffre qu’elle nous présente. L’histoire de Jonas n’est guère
éloquente si l’on oublie que Jonas est le cryptogramme du Christ, ainsi que
l’affirme Jésus lui-même dans l’Evangile. Il faut donc déchiffrer et
lire ce texte pour y chercher l’Evangile en filigrane. Ainsi peut-on lire
les Prophètes. Ainsi la Torah. L’Evangile transforme tout ce qu’il
touche, l’Evangile donne aux autres livres de l’Ecriture une profondeur qu’ils
n’ont pas forcément en eux-mêmes. Ce que l’on pourrait prendre pour un
conte édifiant renferme un enseignement passionnant. On comprend ce qui est
vraiment arrivé à Jonas quand on rapproche Jonas du Christ.
Encore
faut-il bien préciser que l’Evangile évoque le signe de Jonas en deux sens
différents. Quelqu’un qui n’a pas l’habitude de lire la Bible peut se
scandaliser de ces différences. Il ne faut pas oublier que l’auteur du
texte sacré est le Saint Esprit lui-même. On peut donc admettre que ces
textes ont une épaisseur de sens que n’ont pas les textes purement
profanes. Les scolastiques parlent à ce sujet d’une pluralité de sens
littéraux. La lettre du texte sacré a en elle-même plusieurs sens selon qu’on
la comprend sous telle ou telle lumière. Ainsi certains textes prophétiques
ont un sens immédiat, valable pour leur époque. Mais en même temps, ils ne
se comprennent vraiment qu’en référence à tel ou tel mystère du Christ.
Jonas est une leçon donnée à Israël : Dieu veut faire comprendre à
son peuple qu’il n’a pas le monopole de sa Miséricorde. Tel pourrait
être le premier sens littéral. Mais, dans l’analogie biblique, il y en a d’autres.
La figure de ce prédicateur resté trois jours dans le ventre du poisson, ne
se saisit dans tout son éclat qu’à la lumière de ce qu’en dit le
Christ.
Voici
ce que nous apprend le chapitre 12 de l’Evangile selon saint Matthieu sur le
prophète Jonas : « Un groupe de scribes et de pharisiens prit la parole
et demanda à Jésus : Maître nous voulons voir un signe de vous. Jésus
leur répondit : Cette génération mauvaise et adultère réclame un
signe ! Il ne lui sera pas donné d’autre signe que celui du prophète
Jonas. Comme Jonas resta dans le ventre du poisson trois jours et trois nuits,
ainsi le Fils de l’Homme restera dans le sein de la terre trois jours et
trois nuits » (Matth. XII, 38 sq.). Nous avons là une première
explication de l’aventure de Jonas. Le ventre du poisson, le Christ l’indique
clairement, c’est le ventre de la terre. Jonas, jeté à la mer par les
marins, affronte la mort et il descend aux enfers. Au chapitre 2, magnifique
psaume que chante Jonas « du fond des entrailles du poisson »,
nous trouvons tout de suite ce verset : « Du ventre du
Schéol, j’ai lancé des appels – et tu as entendu ma voix ». Jonas
est descendu dans les enfers et là, il supplie Dieu de l’entendre. Et Dieu
l’exaucera, puisque le poisson le dégorgera sur la terre ferme. Jonas
revient des enfers pour prêcher aux vivants, dans l’enfer de Ninive, la
grande ville. Le Christ lui aussi doit descendre aux enfers, non pas pour y
supplier Dieu, nous dit l’Ecriture, mais pour prêcher aux morts qui
attendent sa venue. La première Epitre de saint Pierre exprime très bien
cela : « Etant ressuscité selon l’Esprit (avant même sa
résurrection dans la chair le troisième jour), Jésus vint prêcher les
esprits qui étaient retenus en prison, ceux qui avaient été incrédules
autrefois, lorsqu’aux jours de Noé, ils se reposaient sur la patience de
Dieu, pendant qu’on bâtissait l’arche dans laquelle huit personnes
seulement furent sauvées par l’eau ». Cette dernière expression
« sauvés par l’eau » est très forte. Couramment dans les
psaumes, l’eau est signe de mort. Le déluge est une mort universelle. Mais
cette mort se transforme en vie. Cette eau mortelle qui est l’eau du
déluge, est en même temps l’eau qui sauve. Pour un petit nombre de
personnes : « Huit personnes furent sauvées par l’eau ».
Jonas, jeté à l’eau, meurt, mais il revient à la vie, Jonas est sauvé de
sa désobéissance et de sa lâcheté, préfigurant le Christ ressuscité.
Avant le Christ, peu de personnes sont sauvés : « huit en
tout » dans l’arche, et puis, au sein du peuple choisis, tous ceux qui
peuvent se dire fils d’Abraham. Après le Christ, la prédication de Dieu,
la bonne nouvelle, l’Evangile est adressé à tous les hommes, même à ceux
qui dans le passé, s’étaient montrés rebelles ou incrédules. Oui, tous
les hommes, s’ils le veulent, peuvent être sauvés. Jonas préfigure le
Christ et l’universalité de son message, en allant prêcher à Ninive, le
terrible ennemi d’Israël que le prophète Nahum n’appelle que « le
destructeur ». Nous sommes là dans le deuxième aspect de la figure de
Jonas. Jonas n’est pas seulement celui qui descend dans le ventre des enfers
et en remonte. Il est aussi le prédicateur, seul contre tous, ou plutôt seul
pour tous, parce que sa prédication obtient le salut de Ninive. Saint Paul
– encore lui – a magnifiquement dit comment Dieu a voulu « sauver
ceux qui croient par la folie de la prédication » (I Cor. I, 21). Si
nous poursuivons la citation du chapitre 12 de saint Matthieu, nous pouvons
constater que Jonas est aussi le prédicateur du salut, prédicateur qui
semble avoir eu de son vivant plus de succès que n’en eut Jésus
lui-même : « Les gens de Ninive se lèveront, lors du Jugement,
avec cette génération et ils la condamneront, car ils firent pénitence à
la parole de Jonas » (Matth. XII, 41). Dans le passage parallèle de l’Evangile
de saint Luc, le signe de Jonas, c’est uniquement cette prédication :
« De même que Jonas a été un signe pour les Ninivites, de même le
Fils de l’Homme en sera un pour cette génération » (Luc XI, 30).
« Il y a ici plus que Jonas ». Le temps des Prophètes est
terminé quand s’accomplit ce qui a été prophétisé. Jonas à Ninive, c’est
une anticipation miraculeuse du Christ dans le monde. Mais une fois le Christ
advenu au monde, le temps de Jonas est terminé, car le Christ est plus que
Jonas. Le pardon de Dieu est offert désormais non seulement aux Ninivites,
mais à tous les hommes. Il suffit de le vouloir ! Il suffit de faire
courageusement le choix du Christ, pour partager un jour sa résurrection.