Jonas, figure de l’aventure chrétienne

Conférences de Carême 2008 au Centre Saint Paul

par l’abbé Guillaume de Tanoüarn


 

Jonas ou le chemin du baptisé - Sixième dimanche de Carême – 16 mars 2008

(partie précédente)

Il nous reste un chapitre, le chapitre 4, qui n’est pas le moins étonnant, parmi les aventures de Jonas. Jonas s’est acquitté de son ministère. Il a prêché. Court mais bon. Court mais fort. Court mais efficace : encore quarante jours et Ninive sera détruite. Sa prédication a eu un premier effet d’émotion, auquel il ne s’attendait pas du tout. Depuis le roi de Ninive jusqu’aux animaux, ils font tous pénitence. On ne dira jamais assez l’utilité de la pénitence pour capter le cœur de Dieu ! Car il est bon que l’on sache que Dieu a un cœur ! Jonas le pressentait. Dans l’Ancien Testament déjà, on peut le pressentir. Ne dit-on pas que en David, malgré tous ces défauts, David qui n’hésite pas à faire tuer son général Urie pour récupérer sa femme Bethsabée et l’ajouter à son harem, mais aussi David qui danse et qui chante pour Dieu, David le poète, David qui n’hésite pas à risquer sa vie, David qui aime ses enfants d’un amour charnel, même lorsqu’ils le trahissent, en David, malgré ses faiblesse et à cause de sa bonté, Dieu a trouvé « un homme selon son cœur ». L’indication, donnée comme en passant dans le Livre des Rois, est d’une importance capitale : s’il est vrai que « la personne est ce qu’il y a de plus parfait dans tout l’Univers » comme dit saint Thomas d’Aquin dans sa Somme théologique, alors il est vrai que Dieu a un cœur. C’est la dernière révélation du Livre de Jonas.

Elle a toujours beaucoup embarrassé les exégètes, parce que les exégètes sont des théologiens et que les théologiens sont des gens logiques, des gens que l’on a du mal à faire changer d’avis. Quand on a un cœur, on peut toujours changer d’avis. Quant on a un cœur, on ne se contente pas de ce que l’intelligence nous inspire.

Attention, je ne dis pas que quand on a un cœur, on est forcément sentimental ! Les sentiments sont souvent comme une espèce de gelée qui se forme à la surface de nous-mêmes et qui nous empêche de saisir la réalité des choses, qui nous interdit de voir et de sentir les êtres comme ils sont. Il y a d’innombrables exemples dans la Littérature, je n’ai pas besoin de développer ce point. Je pense à certains livres de Balzac comme La Duchesse de Langeais ou comme Honorine, qui marque bien combien cette purée de pois que l’on appelle sentiments ou que l’on appelle passion est nocive. Au lieu d’aimer quelqu’un, avec la beauté mais aussi toutes les difficultés que cela comporte, on aime aimer, on aime se sentir aimer, on aime vivre l’amour. Dans la Duchesse de Langeais, par exemple, le héros aime une coquette, qui affiche partout un cœur à prendre. Illusion et jeu de l’amour ! Si elle le décrète à prendre, ce cœur, c’est pour mieux le garder : le garder pour elle et pour elle seule. Hélas, au bout de quelques mois à jouer l’ingénue effarouchée, la coquette s’est laissé… prendre au jeu. Elle est prise, elle est éprise. Son soupirant, éconduit avec une sorte de sadisme raffiné par la belle au cœur de pierre, ne veut plus entendre parler de celle qu’il courtisait hier si assidûment. Il ne pense qu’à sa vengeance. L’un et l’autre n’ont su aimer qu’un sentiment, qui leur était désespérément personnel. Ils ne se sont jamais rejoints. La fin est tragique : la duchesse devient carmélite. Elle est défigurée… par celui qu’elle aime.

Ces sentiments, mis en scène par Balzac, sont ardents, sont puissants. Ils restent honorables. Que dire des « sentiments », que l’on exhibe, comme s’il s’agissait de papiers d’identité, qu’il faut toujours garder sur soi, au cas où… Sentiments soi-disant amoureux qui devrait tout excuser, sentimentalisme humanitaire etc.

Dieu n’est pas sentimental, ni en ce dernier sens, parce qu’Il ne nous trompe pas, ni au premier sens, parce qu’il ne saurait se laisser tromper. Comme nous le disons dans l’Acte de foi : Il ne peut ni se tromper ni nous tromper.

Mais Dieu peut changer d’avis nous explique le Livre de Jonas : « Dieu vit ce que faisaient les Ninivites pour se détourner de leur conduite mauvaise. Aussi Dieu se repentit du mal dont il les avait menacé, il ne le réalisa pas ».

Suffit-il de dire que le Dieu dont nous parlons n’est pas le Dieu des philosophes et des savants, mais le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob pour comprendre que Dieu puisse ainsi « se repentir » et changer d’avis ? C’est l’argument qui paraît le plus facile. Il conduit au choix à disqualifier les philosophes lorsqu’ils disent que Dieu est immuable, ou bien à considérer que la Bible est tissée de belles métaphores poétiques, en particulier toutes celles qui s’appliquent à Dieu même, mais qu’elle ne nous apprend rien sur l’Essentiel, rien sur l’Eternel, et qu’il faut des philosophes et des savants pour cela ! On a tout à perdre à cette paresse du double discours, qui faisait dire à Averroès, le célèbre philosophe musulman et cadi de la ville de Cordoue, qu’il existe une vérité pour le peuple et une vérité pour l’élite. Je sais que cette théorie de la double vérité se vérifie de plus en plus souvent en politique (une vérité pour la super-élite mondialisée, une vérité pour les populations gorgées de la bonne nouvelle médiatique et de son très sucré consensus). Il ne faudrait pas que cette double vérité soit vraie aussi en matière religieuse ! Ce qui caractérise la sagesse de saint Thomas d’Aquin par exemple, c’est le refus de cette double vérité. Dans l’un des quelques sermon de lui qui nous soient parvenus, le sermon dit de la Vetula, il nous explique qu’une vieille femme inculte, qui ne sait ni lire ni écrire, en sait plus sur Dieu et sur le destin de l’homme grâce à la foi, par la foi, que tous les sages et les savants s’ils restent éloignés de ce savoir nouveau que nous tenons d’une révélation divine.

Comment comprendre que Dieu a changé d’avis. Avec toute sa mauvaise humeur de prédicateur successfull et qui ne croyait pas à son succès, qui ne le voulait pas, Jonas nous met sur la voie : « Ah Yahvé, dit-il, n’est-ce point là ce que je disais lorsque j’étais encore dans mon pays ? C’est pourquoi je m’étais d’abord enfui à Tarsis ; je savais en effet que Tu es un Dieu de pitié et de tendresse, riche en grâces et te repentant du mal… ». Une fois de plus, il s’agit de prendre Jonas au pied de la lettre. Il parle de la tendresse de Dieu, il ne s’agit pas de disqualifier son message, en prétendant qu’il s’agit d’un banal anthropomorphisme.  Ce qu’il nous révèle ? C’est que la volonté de Dieu est une volonté d’amour.

Prendre Jonas au sens littéral. Mais attention, pour cela, il ne faut pas confondre les deux verbes hébreux qui désignent la repentance. Il y a le verbe XXX, qui exprime un changement d’attitude, un changement de voie, qui, en définitive est une conversion de l’être même. Telle est la repentance des Ninivites. Pour l’homme se repentir signifie changer. On ne peut pas prétendre se repentir, si l’on ne change pas en profondeur. C’est à la fois très grand et simplement humain : l’homme change, mais il ne peut pas faire que ce qui a eu lieu nait pas eu lieu. Son repentir ne change pas son péché passé, il change simplement son attitude à venir (ou alors il n’est rien).

(suite)

 

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